19/04/2004
Nous sommes dans l'avion.
Silvana me dit qu'en dessous, il y a un monde qui s'agite et vit très bien sans nous.
Nous nous tenons la main en attendant le crash, les masques à oxygène qui tombent du plafond, la position de sécurité, la tête entre les genoux, avant que celle-ci se détache de notre corps et soit rangé dans un sac poubelle pour identification par les équipes de secours qui arriveront trop tard.
Je serre dans ma main mon appareil photo.
Personne n'a jamais capté le regard de l'hôtesse de l'air avant le crash.
J'ai une réserve de 80 clichés numériques.
Avant que l'avion ne percute le sol, j'aurais le temps de canarder.
Flashs au milieu des étincelles. Personne ne songera à m'engueuler.
Ensuite, si j'ai le temps, je m'enfoncerai ma Memory Stick Sony dans le cul (ou dans celui de Silvana).
Ce message sera le seul indice qui permettra aux vivants de le retrouver.
C'est notre cadeau post-mortem.
Une exposition radicale (Beaubourg sera intéressé) à celui qui aura lu ce blog et aura eu le courage de demander à nos familles une fouille rectale.
Bien entendu, il est aussi possible que tout se passe bien et que nous atterrissions sans problème.
Mais ce sera alors beaucoup moins créatif.
18/04/2004
Comme si cela ne suffisait pas d'observer autour de nous la chute rapide des consciences, la dégradation progressive des corps et l'absence cruelle de métaphores de destrtuction finale qui auraient pu nous réconforter, nous venons de décider de quitter un moment notre tanière campagnarde et de visiter les vestiges d'un empire foudroyé. Ses cadavres de pierre, ses reliques de bois ainsi que les enfants hagards de cette race damnée.
Nous nous frotterons au souvenir d'une puissance hégémonique révolue et goûterons à la source de l'ignorance un peu de puissance, de celle qu'on pouvait sentir en ces temps où la globalité du monde ne pouvait pénétrer aucune représentation de l'esprit.
Avant le Xanax, avant CNN, avant l'ONU, il y avait la PAX ROMANA.
10/04/2004
Nous nous sentons dépassés par la multitude de projets possibles que nous pourrions mettre sur pieds.
Si vraiment il fallait rendre hommage à toutes les victimes de déréglements sociaux, à tous les martyrs innocents de "causes justes", à toutes ces vies balayées au nom de la grandeur de l'Humanité, une vie ne suffirait pas, un homme & une femme ne suffisent pas non plus.
Aujourd'hui encore, chaos en Irak, commémoration du génocide rwandais, élections algériennes, enfer haïtien, la liste est longue.
Comment témoigner de tout ceci ?
Comment choisir ?
Sombrer dans l'abstraction et la noirceur ultime, sans nom, afin que chacun y retrouve sa propre tragédie ?
Ou bien encourager tout le monde à témoigner, sans jamais s'arrêter ?
Mais alors saturés de témoignages, comment nos sensibilités parviendront-elles à s'émouvoir de chaque crime perpétré à chaque seconde qui passe ?
Combien d'hommes, de femmes, d'enfants, sont morts pendant que j'écrivais ces lignes ?
Le monde est plat.
L'homme est noir.
Nous n'avons plus le désir de porter plus longtemps le drapeau de la race humaine, bien haut.
Plongé dans sa catastrophe quotidienne, qui aura le temps de le voir ?
08/04/2004
Le matin, je regarde Silvana qui s'habille.
Que l'on ait besoin ou non de sortir ce jour-là, elle y met toujours la même minutie, dans un rituel lent et appliqué dont je commence à reconnaître les codes, même si j'ignore leur signification.
Comme une messe de chair et de tissu, c'est à cette dévotion méditative que je me consacre quotidiennement.
Les habits viennent intégrer chacun leur place, couvrant ou dévoilant une parcelle de peau, et cela me fait souvent penser à ces vidéos prises sur les chantiers et diffusées en accéléré, de sorte qu'on ne prend conscience de la réalité du bâtiment que dans les dernières secondes. Avant, le tableau est un chaos de formes minuscules qui s'agitent sans logique.
C'est cette seule émotion esthétique qui fait que je me lève chaque matin au lieu de m'endormir pour toujours.
07/04/2004
Nous aurons des villes propres & des enfants désinfectés
Nous aurons une pensée de ruche & la conscience précise de nos chaînes
Nous aurons une natalité régulée & des sexes froids
Nous aurons toutes les idées du monde & tout le monde des idées
Nous aurons faim
Et tout ça pourra disparaître
Puisqu'il n'y aura plus rien qui fasse d'un homme un héros
Ecrasant les autres pour les pousser à vivre plus longtemps.
05/04/2004
reniflage de fesses & reflex de survie
obligation d'allégeance & nourriture pour bébé
instinct maternel & simulacre en costard
-----------------------------------------
ce blog est ouvert